(Pour)Suivre ses rêves : les défis de la persévérance scolaire
Entrevue avec Janik Lacelle et Stéphanie Ducas, membres de PoursuiteS, un projet de recherche régional sur la poursuite des études.
Janik Lacelle est enseignante au programme de technique en éducation spécialisée au Centre collégial de Mont-Laurier. Stéphanie Ducas est étudiante au progamme de psychoéducation au centre de Saint-Jérôme de l’Université du Québec en Outaouais. Toutes deux font partie de l’équipe de PoursuiteS, un projet de recherche « par, pour et avec les étudiants » débuté en 2021 visant entre autres à documenter les facilitateurs et les obstacles à la poursuite des études.
Suite à la collecte des données, l’équipe a créé une trousse d’outils destinée au personnel scolaire afin de faciliter l’accompagnement des étudiants de tous horizons. Un festival a également eu lieu à Mont-Laurier le 18 septembre à l’Espace Théâtre.
« On s’est demandé comment on pouvait faire en tant que personnel scolaire pour soutenir et aider les étudiants qui ont un parcours différent, que ce soit au niveau de la santé mentale, des difficultés d’apprentissage ou familiales », explique Janik Lacelle. « On s’est beaucoup intéressé aux parents étudiants et aux étudiants de première génération, parce que la littérature démontre qu’il y a des obstacles supplémentaires pour eux. » On entend par étudiant de première génération ceux dont les parents n’ont pas fréquenté le cégep ou l’université.
Avec ce projet, l’équipe espère avant tout inspirer le personnel scolaire à se positionner comme vecteur de changement. Stéphanie Ducas affirme : « L’idée est vraiment d’aller chercher des acteurs clés et espérer qu’ils entament des changements dans leur milieu. » Selon elle, il est primordial d’offrir un meilleur accompagnement aux étudiants, tant au niveau organisationnel qu’au niveau relationnel. « (Il faut) créer une relation prof-élève qui est significative. On a vu à quel point c’est un facilitateur important à la poursuite des études. On a tous eu un prof qui nous a marqués ! Je crois sincèrement qu’il faut qu’on revalorise cette relation. »
L’équipe de recherche souhaite aussi inspirer des changements à plus grande échelle. « Je pense que le gouvernement pourrait écouter davantage les étudiants, les profs et les gens sur le terrain. Les choses ont changé depuis la COVID que ce soit au niveau financier ou de la santé mentale, et c’est important de l’entendre », partage à ce sujet Stéphanie Ducas.
« Notre philosophie est axée sur le plan collectif », poursuit Janik Lacelle. « On entend souvent que ce sont les étudiants qui doivent apprendre à mieux s’organiser, à prendre soin de sa santé mentale. Bien sûr, on est d’accord que l’étudiant doit faire sa part, mais tout le monde est responsable. On va jusqu’à se demander si le système scolaire ne fragilise pas la santé mentale de l’étudiant, qui doit performer depuis qu’il est tout petit, qui doit rentrer dans un moule. »
Lors des sondages, beaucoup d’étudiants ont avoué se demander si la poursuite de leurs études valait réellement la peine pour leur santé mentale. Stéphanie Ducas partage s’être elle-même rendue au bout du rouleau. « Quand j’ai été approchée pour faire partie de l’équipe de recherche, j’étais en train de réapprendre à ressentir la faim. Mes signaux de besoins de base n’existaient plus », explique-t-elle. C’est d’ailleurs le genre d’histoire qui a sonné une cloche d’alarme à Janik Lacelle : « Il faut qu’il se passe quelque chose. Comme enseignante, est-ce que je veux contribuer à mettre la hache dans la santé mentale de mes étudiants ? »
Pour cette dernière, qui enseigne depuis 16 ans et qui se perfectionne chaque année, les entrevues qu’elle a effectuées avec les étudiants dans le cadre du projet de recherche ont représenté « la plus belle formation de toute (sa) vie. » Après tout, « ce sont eux les experts de leur réalité », affirme Mme Lacelle.
« Ça m’a marquée d’entendre autant d’étudiants dire qu’ils ne pensaient jamais pouvoir aller au cégep ou à l’université alors que je connais leurs capacités. C’est triste. Ceux-là ont osé y aller, mais combien y en a-t-il d’autres qu’on perd parce qu’ils pensent qu’ils ne sont pas capables ? » — Janik Lacelle
Ces entrevues auront permis à l’enseignante de faire plusieurs réalisations. Par exemple, les étudiants à la technique d’éducation spécialisée consacrent entre 45 et 48 heures par semaine aux cours et à l’étude, et ils travaillent en moyenne 17 à 20 heures. « En calculant, j’ai réalisé que ça faisait 68 heures par semaine. J’aurais peut-être dû en prendre conscience avant, mais ça a été beaucoup pour moi. Maintenant, je laisse beaucoup plus de temps en classe pour les travaux en équipe (…) Certains me disent qu’on voit moins de matière de cette façon, mais je le vois différemment. En ayant les équipes de travail en classe, je peux les pousser beaucoup plus loin. Je ne perds pas de contenu, je l’enseigne seulement différemment. »
En bref
La relation bienveillante enseignant-élève s’est révélée être un facilitateur pour plus de 90 % des répondants, allant jusqu’à 98 % pour les étudiants universitaires. L’obstacle le plus fréquent à la poursuite des études est la conciliation avec le travail, qui posait un problème pour 50 % des répondants. À Mont-Laurier, les étudiants de première génération au collégial représentaient 52 % contre 33,3 % à Saint-Jérôme.
Les résultats des sondages ont également permis à l’équipe de recherche d’émettre six principaux constats :
Le personnel scolaire a un impact déterminant sur le développement personnel, académique et professionnel des étudiants ;
Les différents acteurs du milieu scolaire, qu’il s’agisse des étudiants ou du personnel, ont peu d’autonomie à l’intérieur de l’institution académique ;
La définition de la réussite est trop étroite, non inclusive et intimement liée à des attentes très élevées ;
Seuls certains étudiants ont accès à des services et/ou des ressources adaptés à leurs besoins ;
La santé mentale des étudiants est préoccupante ;
Les savoirs théoriques et scientifiques sont généralement ceux valorisés par le système scolaire, laissant entre autres pour compte l’expérientiel, l’interpersonnel, et l’artistique.
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