Il y a 102 ans, le virus de la grippe « espagnole » tuait en masse
À plusieurs reprises, la grippe « espagnole » a côtoyé la COVID-19 dans les médias: le nombre de morts et sa propagation sont similaires. Comment a-t-on vécu la première dans le secteur de L’Annonciation? L’historien Richard LaGrange raconte, écrit.

« Quand on a frappé la grosse période de la grippe espagnole, ces mortalités-là n’entraient pas dans l’église alors on amenait le mort sur le perron de l’église, le curé sortait y faisait une bénédiction et puis c’était la cérémonie ça. » Ce témoignage que j’ai recueilli en 1985 est celui de Liguori Gervais, âgé de 77 ans, à L’Annonciation, confronté à l’épidémie de la grippe espagnole survenue entre 1918 et 1920 alors qu’il était tout jeune. Son récit donne froid dans le dos et traduit toute la gravité de la situation.
Dans les paroisses des Laurentides, comme partout ailleurs, les gens tombaient alors comme des mouches, décimés par une affection qu’on comparait à la peste noire au Moyen-Âge, au milieu du XVe siècle, ayant tué de 30 à 50 % des Européens. Au Canada, on dénombra 50 000 victimes, dont 14 000 au Québec. Tandis que le monde sortait tragiquement de la Première Guerre mondiale qui emporta environ 19 millions de morts, ce virus foudroyant fera entre 50 et 100 millions de victimes, soit trois à cinq fois plus que la Grande Guerre elle-même. Pas de vaccins. Pas d’antibiotiques. Pas de médicaments antiviraux. La médecine de l’époque était désarmée face à un ennemi insaisissable.
Cet épisode est longtemps resté dans l’ombre. Pour trouver des informations, il faut consulter les monographies locales et les registres de l’état civil du Québec où l’on constate une augmentation de façon alarmante du nombre de décès répertoriés entre 1918 et 1920. C’est un gros chantier de recherche que les sociétés d’histoire et de généalogie pourraient entreprendre pour une saisie de données sur cette histoire.
Dans son autobiographie intitulée Sous le ciel de L’Annonciation et publiée en 1965, le docteur Côme Cartier écrit: « des épidémies de typhoïde en 1893-1894 et de diphtérie en 1899, 1902, 1903, 1923 font plusieurs victimes. Des épidémies de varicelles et de grippes éclatent en 1903 et 1919. Le bureau d’hygiène ordonne la fermeture des écoles dans tout le Canton et mène une campagne contre la tuberculose. Pour améliorer la qualité de la santé de ses citoyens, le conseil municipal du village adopte un règlement rendant la vaccination obligatoire en 1912: les enfants non vaccinés seront refusés dans les écoles. » On mourrait en si peu de temps de la grippe espagnole que le Dr Cartier ondoyait les petits, malgré les réprimandes de l’Église.
En ce début du XXe siècle, l’organisation sanitaire était rudimentaire pour faire face aux différents types de maladies. Avec la collaboration du médecin du lieu, les municipalités adoptaient diverses mesures plus ou moins efficaces. Aujourd’hui, nous savons que le virus de la grippe espagnole est un virus H1N1, un ancêtre de celui qui a sévi en 2009.
Cette épidémie mondiale sema la panique, car les populations étaient dépourvues de tout remède. À cette époque, le gouvernement du Québec n’intervenait que très timidement dans la santé publique. Il y consacrait moins de 10% de ses dépenses. Pour le reste, on s’en remettait aux institutions de charité dirigées par les communautés religieuses.
Hygiène de l’avant
Certes, depuis 1886, le Conseil provincial d’hygiène jouait un rôle d’information, mais il avait peu de moyens à sa disposition. Certaines mesures prises par les autorités pour enrayer la grippe espagnole ressemblent beaucoup à celles que la direction de la santé publique du Québec recommande pour lutter contre le COVID-19: évitez les foules et les rassemblements, n’allez pas dans les parcs, les lieux d’amusement et les théâtres, lavez-vous les mains, restez calmes et prenez des marches à l’extérieur de la maison. Tous les commerces, à l’exception des boucheries et des épiceries, étaient fermés. On désinfectait les maisons et l’on exerçait la quarantaine. Ces mesures de santé publique et la mutation génétique du virus semblent avoir mis fin à l’épidémie.
La diffusion de l’influenza espagnole s’est effectuée en trois vagues consécutives. La première, au printemps 1918, et la deuxième à l’automne de la même année. Enfin la troisième, à l’hiver 1920. C’est la raison pour laquelle, d’expérience, les scientifiques craignent le retour du COVID-19 en plusieurs vagues. Ils supposent que nous sommes au commencement de la première vague de pandémie qui compte, selon les dernières statistiques, 300 000 morts dans le monde et environ 3 500 au Québec. Contrairement au COVID-19 dont la majorité des victimes sont des personnes âgées de plus de 70 ans, la grippe espagnole ne faisait pas de distinction d’âge, mais elle fauchait davantage les jeunes adultes âgés de 20 à 40 ans.
Rappelons que le premier cas a été recensé en 1918 au camp Funston, pouvant loger 50 000 militaires de l’armée américaine, au Kansas. En quelques semaines, des centaines de soldats furent contaminés. En avril 1918, les troupes américaines débarquaient en Europe, apportant le virus de la grippe. La pandémie mortelle commençait. Le principal facteur de propagation du virus a donc été, selon les épidémiologistes, le mouvement des troupes américaines à la fin de la Première Guerre mondiale. Quand les troupes se déplaçaient, le virus voyageait avec elles.
De même, ils s’entendent pour dire que la vitesse de la propagation du COVID-19 est due aux mouvements des millions de voyageurs et de touristes. Un autre facteur expliquant la propagation rapide du virus, ce sont les camps militaires surpeuplés, à l’instar des CHSLD de nos jours qui ont été de véritables incubateurs pour la maladie.
Une grippe « américaine »?
Si l’origine de la grippe est américaine, pourquoi porte-t-elle le nom de grippe espagnole? Parce que la presse de l’Espagne, pays neutre pendant la Première Guerre mondiale, était épargnée par la censure qui muselait les médias des pays en guerre. Elle était la seule qui pouvait divulguer ouvertement la maladie. Dès lors, le monde endossa l’habitude de parler de grippe espagnole. Cette grippe prit tout le monde de court comme le COVID-19 où les pays étaient mal préparés et mal équipés. Pourtant, depuis la Révolution tranquille des années 1960, le Québec s’offrit un système de santé publique représentant plus de 65% des dépenses de programmes du gouvernement québécois. Ce qui a probablement aidé à diminuer les conséquences dévastatrices de la pandémie.
Mais, avec l’accroissement actuel de la population mondiale, de la pauvreté, des millions de voyageurs, des contacts de plus en plus fréquents avec les vecteurs animaux, et avec ce que l’histoire de l’humanité nous enseigne sur l’existence des pandémies épisodiques depuis des millénaires, il est hautement probable que d’autres pandémies apparaîtront. Pour y faire face, la recherche médicale et l’amélioration de l’hygiène publique, en collaboration avec des institutions internationales telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) créée en 1948, placent les collectivités en meilleure position pour endiguer les prochaines épidémies.
Concluons avec le témoignage du docteur Jacques Cartier, fils de Côme Cartier, âgé de 78 ans, de L’Annonciation, lors d’une entrevue réalisée avec moi en 1985. Il disait: « Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale vers 1945, les médicaments étaient un arsenal pas mal réduit. On avait quoi ? L’aspirine, des sirops, des potions, des onguents, des toniques. Quand les antibiotiques sont arrivés vers 1945, les sulfamides, ensuite la pénicilline ça été une vraie révolution. On faisait des miracles avec ces médicaments. Au début, nos cas de pneumonies, on en réchappait à peu près la moitié, seulement avec la pénicilline, ben mon Dieu, ces maladies-là ont disparu. »
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